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Convoi 77 : Les Klotz, une famille emportée par la Shoah

Publication : (actualisé le ) par C. Brunot, Claire Podetti

Pour la deuxième année consécutive nous avons choisi de participer au projet européen Convoi 77 dans le cadre d’un EPI (Enseignement Pratique interdisciplinaire) incluant l’Histoire, le Français, l’Anglais et l’Éducation musicale) mais aussi le théâtre (atelier hebdomadaire dirigé par un comédien professionnel) avec une classe de troisième. (Voir le projet dans ses finalités pédagogiques et didactiques en Annexe 1)
Forts de notre expérience de l’an dernier, nous avions choisi d’écrire la biographie d’un déporté dont un des membres de la famille avait survécu afin que nous puissions recueillir un témoignage et travailler dessus. Le 27 janvier 2017, nous avons rencontré Patrick Bloche, petit fils de Lucienne Klotz déportée dans le Convoi 77. Il a tout de suite accepté notre proposition de travailler sur sa grand-mère.

1. L’enquête

En juin 2017, Patrick Bloche nous a donné les premiers éléments sur son histoire familiale : ce n’était pas une personne mais huit de la même famille qui avaient été arrêtées et déportées par le Convoi 77. Un neuvième membre était mort à l’hôpital Rothschild en août 44 et un dixième membre, François Klotz frère de Lucienne et Denise avait été arrêté par la milice et très certainement fusillé en 1944. Comment expliquer que neuf personnes de la même famille aient été arrêtées au même moment et si tardivement ? Pour Patrick Bloche, c’est un carnet d’adresse trouvé chez sa grand-mère, Lucienne qui aurait été à l’origine de ces nombreuses arrestations.

Au mois de septembre, nous avons présenté le projet aux élèves en partant de cette problématique et de l’hypothèse de Patrick Bloche que nous allions devoir vérifier à travers l’étude des archives et en questionnant les différents témoins (Gilbert Bloche et Édith Bascou, fils et fille, de Lucienne Klotz). La classe a dans l’ensemble accueilli favorablement le projet mais quelques élèves étaient fort déçus de se trouver dans cette classe avec deux heures hebdomadaires de plus (consacrées au projet) dont la finalité n’était pas un voyage en Espagne pour y pratiquer le surf ! Ils ont d’ailleurs montré leur mécontentement lors des premières heures (élèves sceptiques, en retrait, qui ne se sentaient pas concernés par ce projet qu’ils ne comprenaient pas).

Lors de sa venue au collège, Gilbert Bloche qui devait être notre principale source, n’a pas souhaité parler de sa mère, une histoire encore trop douloureuse plus de 70 ans après. Les élèves ont pris conscience que la Shoah est aussi ce traumatisme qui s’est transmis d’une génération à l’autre.
Il nous fallait donc exploiter les rares archives que nous avions trouvées. Les élèves ont ainsi pu utiliser les outils et la méthode de l’historien : questionner les sources, les croiser, vérifier les informations. Le croisement de certains documents nous a permis de progresser dans notre enquête et d’affiner nos hypothèses. Les huit membres de la famille déportés n’ont pas tous été arrêtés le même jour, ils ne vivaient pas tous en région parisienne au moment de leur arrestation. Fernand et Louise Ochsé, des cousins de Lucienne, étaient cachés à Nice avant d’être arrêtés. Les huit membres de la famille n’ont pas été arrêtés le même jour. C’est Georges Klotz, l’oncle de Lucienne et Denise qui a été arrêté le premier le 11 juillet 1944. Une visite à Drancy et une rencontre avec la documentaliste, nous fait émettre l’hypothèse suivante : Arrêté le premier, et très âgé, Georges a peut-être été rudoyé par les « piqueurs » ou « missionnaires » d’Aloïs Brunner dont le rôle était de d’arrêter en vue de leur déportation le maximum de personnes juives qui avaient échappées aux différentes rafles. Cela expliquerait la mention « Kommando Drancy » sur la carte de Lucienne. En étudiant ces documents de façon approfondie, des questions nouvelles ont surgi, mais nombreuses sont restées sans réponse : quels éléments possédait le fonctionnaire d’État qui a que Denise avait fait de la Résistance sous le pseudonyme de « madame Denis » ? Cette enquête a permis aux élèves de mieux comprendre le but ultime de ce génocide opéré par les Nazis qui consistait à effacer toutes traces de ces millions de personnes, non seulement des corps mais aussi de tous les souvenirs, de toutes ces vies qu’il est aujourd’hui si difficile de reconstruire malgré la présence de témoins. Plus personne ne peut témoigner de la résistance de Denise.

Grâce à Florence Dollfus, nièce de Lucienne et Denise Klotz, nous avons pu avoir des photographies datant d’avant la guerre que sa mère, Anne-Marie Klotz, sœur de Lucienne et de Denise, avait précieusement gardées dans une valise, sous son lit, sans jamais l’ouvrir.
C’est avec beaucoup d’émotion que les élèves ont découvert ces archives familiales. Lucienne et Denise n’étaient plus seulement des noms, elles avaient désormais un visage et un corps, des frères et sœur, une famille. Les élèves ont décidé de rédiger des poèmes pour compléter les biographies de Lucienne et Denise Klotz. Cette forme littéraire leur permettait de combler les vides, les manques, les questions auxquelles nous ne pourrions pas apporter de réponses… Ces poèmes seraient leur contribution à la mémoire de Lucienne et Denise Klotz. Nous avons longuement travaillé avec les élèves sur la différence entre une biographie historique avec ses hypothèses, ses interrogations, ses vides et ses blancs et les poèmes biographiques, plus « libres » dans leur écriture. Ce qu’explique très bien Zoé : Les poèmes sont une façon de s’exprimer plus librement par rapport à la vérité et donc d’utiliser la fiction.
(…)On sait tout de leur parcours de juives déportées mais on ne sait rien de leur vie de femme, de mère ou d’écolière et on ne le saura jamais, c’était d’ailleurs le but de la Shoah, de faire disparaître une population, une culture complètement et de ne laisser aucune trace.
Historiquement on a trouvé des choses mais Denise et Lucienne elles ont disparu.
Donc c’est important d’utiliser la fiction pour combler ce vide qu’on a dans leur biographies et donc de ramener Lucienne et Denise à nos mémoires.

En cours de Français, les élèves ont abordé différentes formes de récits de vie, biographiques (comme Maus d’Art Spiegelman ou Charlotte de David Foenkinos et autobiographiques (comme le roman graphique de Persépolis de Marjane Satrapi ou Une jeunesse au temps de la Shoah de Simone Veil) qui ont opéré comme modèles. Pourquoi raconter sa vie ? Comment s’y prendre une fois les sources réunies ? Les élèves ont choisi la forme poétique pour rédiger les biographies de Lucienne et Denise Klotz car elle leur paraissait davantage « littéraire ». Est donc né de leur initiative un vrai décollement du matériau « Histoire » pour se rapprocher de la littérature, de « l’histoire » de Lucienne et Denise Klotz. (Voir Annexe 2 les biographies)

Au fil de l’année, grâce aux rencontres, aux visites de lieux de mémoires (Drancy, le Struthof, le Mémorial de la Shoah), des progrès de notre enquête, des prises de conscience des élèves les questions se sont élargies de l’antisémitisme au racisme et aux différentes formes de discrimination de notre société. Comment les combattre ?

Deux élèves ont choisi de rédiger un article de journal aidé par Louise Gamichon, journaliste et membre de la réserve citoyenne, qui nous a accompagné tout au long de ce projet. (Voir Annexe 3 l’article de journal)
« Notre but était d’écrire un article sur un événement marquant de notre enquête ou de l’année. Nous avons décidé d’écrire cet article sur notre visite du camp de concentration du Struthof car la visite nous a particulièrement marquée. Nous avons dans un premier temps chacun écrit ce que nous avions vu, pensé, ressenti puis, nous avons mis en commun nos idées et nous avons terminé le travail par une série d’interview d’élèves. Nous leur avons demandé :
 ce qu’ils avaient pensé de la visite ;
 les émotions qu’ils avaient ressenties ;
 leur point de vue sur la déportation, les camps etc… après la visite.
Ces informations récoltées, nous avons pu écrire l’article en y mêlant description du site et points de vue des élèves, des photos prises par un élève de la classe ont illustré notre article. »

En cours d’anglais, le projet consistait à écrire une version anglaise de la biographie de Lucienne et Denise Klotz travaillée en amont en français. Mais certains obstacles nous ont obligés à penser le projet autrement. Faute de pouvoir rédiger les biographies Lucienne et Denise, les élèves ont décidé de parler d’eux mêmes, de leur quête dans ce projet.

Certains élèves ont voulu traiter de l’atelier théâtre, des exercices proposés par leur professeur de français Mme Girard ou par Didier Lesour, le metteur en scène. D’autres, plus intéressés par l’audio-visuel se sont concentrés sur les interventions de Sebastiano D’ayala Valva, réalisateur documentariste venu au collège. Enfin, quelques élèves ont préféré se focaliser sur la rencontre émouvante de Gilbert Bloche, fils de Lucienne Klotz.

2. Le théâtre à la croisée de l’Histoire et du Français

Au départ, une proposition de travailler sur Lucienne et Denise Klotz à Auschwitz : travail autour du « devoir de mémoire » sur le modèle de celui que nous avions effectué l’an dernier à propos de Jankiel Fensterszab.

L’invitation artistique…

Puis très vite a surgi un autre thème, afférent au premier : la difficulté de la recherche elle-même. Entre les non-dits, les silences, et les refus de parler des témoins volontaires, nous nous sommes retrouvés sur un terrain mouvant, où le pied se dérobe.
Alors, au fur et à mesure que les données devenaient de plus en plus floues, la modeste tâche du théâtre est, elle, apparue plus nettement. En effet, accumuler des traces, des témoignages, des documents, c’est le travail de l’historien. Mais quand « ça s’échappe », il faut imaginer. C’est là qu’intervient l’invitation artistique. On n’attend pas de l’artiste qu’il conforte le travail de l’historien, mais qu’il « l’invente » c’est-à-dire, le découvre, l ‘éclaire.

…Un lien entre le présent et le passé

D’une part, le rapprochement de l’histoire de Lucienne Klotz avec celle de Charlotte Salomon, telle que l’écrit (c’est-à-dire l’imagine ?) David Foenkinos, permet d’avancer dans la recherche de la première nommée : apport du livre (essai ? roman ?) sur le réel. Rappelons que Charlotte Salomon elle-même intitule son œuvre « Vie ou théâtre ? »

D’autre part la pratique théâtrale permet, par l’incarnation de personnages dans des situations, de rapprocher les élèves eux-mêmes de la personne « étudiée » (rapprochement des deux époques). Celui qui cherche est vivant, et c’est précisément en tant que tel qu’il cherche : pour trouver quelque chose en lui même. Ce que Proust dit à propos de la lecture est vrai pour tout support artistique (et donc pour le théâtre) : « un livre qui n’apporte que des connaissances est sans valeur. Seul compte celui qui, tel un prisme offert au lecteur, permet de voir en soi même ce que, sans lui, on n’aurait jamais vu ». (Voir la pièce de théâtre en Annexe 4)

3. Bilan

Les productions des élèves et la richesse de leurs réflexions ont donné à ce projet une envergure que nous n’avions pas imaginée à l’origine. Nous avions fixé le cadre (une classe entière) et l’objectif du projet (écrire les biographies de Lucienne et Denise Klotz), les élèves étaient ensuite libres de le faire évoluer comme ils le souhaitaient. Nous avons souhaité créer une œuvre collective afin que chacun puisse trouver sa place, si modeste soit-elle. A travers ce projet, ce sont bien les valeurs de partage, de solidarité et de tolérance que nous voulons transmettre La représentation théâtrale qui achevait le projet n’aurait pas pu avoir lieu sans l’implication de chacun. Elle fut un moment d’une extrême intensité pour chacun d’entre nous, un moment de partage avec le public. Les mots de remerciements nous ont comblés : « Nous voulions vous remercier pour le spectacle d’une exceptionnelle qualité que vous et votre ambitieuse équipe avez présenté ce soir aux parents.

Quelle réussite ! Nous sommes époustouflés du travail réalisé tant au niveau du projet, des recherches, des sorties que du rendu final.
Réussir à porter ces jeunes sur un sujet aussi délicat et complexe et parvenir à les faire s’impliquer émotionnellement d’une façon aussi forte est un pari incroyable et plus que réussi. (…)

Mais grâce à vous et à tous ceux qui vous ont accompagné dans ce projet (et que vous remercierez de notre part également), une petite graine d’amour, de tolérance, d’ouverture d’esprit et de transmission de la mémoire a été semée et nous nous chargerons, en tant que parents, de l’arroser plus que régulièrement pour qu’elle se déploie et prenne de l’ampleur dans la vie de nos enfants. »

Les réflexions des élèves ont mûri grâce aux rencontres, aux visites et à leur volonté d’essayer de comprendre toujours davantage ce qu’a été la Shoah. La moitié d’entre eux ont choisi de présenter le projet pour leur grand oral de brevet et leurs paroles montrent leur prise de conscience, leur questionnement, l’apport de ce projet dans leur formation de futurs citoyens. Ce que résume Clara :
« Ce qui est arrivé n’est pas explicable. Comment expliquer que des millions de personnes, de familles aient été détruites seulement à cause de leur origine « juive ». Je vais devenir citoyenne et être citoyenne pour moi c’est rendre compte de ce qui s’est passé ». Ou Nicolas qui a bien saisi les exigences d’un texte historique : Mon rôle dans ce projet –documentaliste de Drancy dans la pièce de théâtre et un des deux rédacteur de l’article- m’a également permis de comprendre l’importance de diffuser clairement des informations vérifiées. Le soin à apporter à la rédaction d’un article, les recherches nécessaires à l’élaboration d’un texte complet et détaillé ou encore Thomas qui souhaite « apprendre davantage sur les autres génocides »

De belles rencontres nous ont permis d’avancer, de progresser dans notre enquête, d’ouvrir de nouveaux horizons, de nouvelles possibilités. La venue de Gilbert et Patrick Bloche au collège a été un moment très intense que les élèves ont choisi d’intégrer dans la pièce de théâtre.

Au Parlement européen de Strasbourg les élèves ont présenté à Vincent Peillon nos premières recherches et les difficultés que nous avions rencontrées. Ce moment d’échange a été un moment important pour les élèves, fiers de présenter leurs recherches à un député européen en présence de Georges Mayer. Cette présentation s’est faite en 4 langues (anglais, allemand, roumain et italien).

Serge Klarsfeld que nous avons rencontré à la fin de notre travail d’enquête a longuement évoqué son travail d’historien pour recenser le nom des victimes, mais aussi son combat mené aux côtés de Beate pour faire juger les criminels. Il a conclu son propos en insistant sur le lien le lien entre racisme et colonisation. Belle rencontre entre ces jeunes qui, à travers le projet Convoi 77, poursuivent le travail de Serge Klarsfeld. « Redonner vie » à ces milliers de noms, en retraçant des histoires familiales, des parcours de vie.

La rencontre avec Florence Dollfuss fut un instant de grâce, intense et profond, une belle leçon d’humanité et de générosité, un moment qui restera gravé dans notre mémoire.

La lettre qu’elle nous a envoyé après la rencontre nous a profondément touchés : « Un dialogue imprévu cette matinée du 20 juin au Mémorial de la Shoah clôturait le magnifique travail réalisé par la classe de 3ème du collège Charles Péguy de Palaiseau. Un travail collectif : élèves, professeurs, journaliste, vidéaste ont du travailler ensemble. Leurs savoirs, leurs expériences, leurs âges différents ont permis , à partir de maigres et très parcellaires données, d’évoquer des situations, de suggérer des destins, de susciter des émotions traduisant une vraie empathie envers ces fantômes anciens, mes deux tantes Lucienne et Denise Klotz. Et cette empathie a élargi le monde des élèves de cette classe, a sans doute contribué à créer des citoyens plus ouverts, plus libres, plus généreux, plus intelligents en somme. De quoi s’émerveiller.

Venue en spectatrice, bien qu’ayant à la demande de mon neveu François Heilbronn, fourni des documents photographiques, prélevés dans les albums familiaux, je ne m’attendais pas du tout à prendre la parole.
Et les questions des élèves m’ont fait parler du plus profond de moi. Des questions dont je savais bien les réponses mais que jamais je n’avais eu l’occasion d’exprimer. Car ces souvenirs, ces évidences, faisaient partie des interdits de l’époque de mon enfance. D’interdits qu’il n’était même pas besoin d’interdire. Nuit et brouillard.

Et bien voilà, je suis devenue, comme beaucoup de gens de ma génération et à ma toute petite échelle, une page d’Histoire. Merci de pouvoir en transmettre quelques bribes, cela console un peu d’être vieux. »

Florence Dollfus

Une quête personnelle…

De nombreux obstacles nous ont obligés à prendre des chemins de traverse… C’est en déviant de notre itinéraire que de nouvelles questions ont surgi, sur l’enquête bien sûr mais aussi et surtout sur le sens de cette quête… Que recherchions nous à travers ce projet collectif ? Peut-être une quête intérieure et personnelle ?

A travers la biographie de Lucienne et Denise, c’est une part de notre histoire que nous (élèves et enseignants) avons racontée. Aujourd’hui Lucienne comme Denise font partie de notre mémoire collective, leur histoire qu’il a été si difficile de reconstituer est aussi en partie la nôtre.

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